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Marie-Ange : le courage d’aimer

 Article publié pour Femmes de Polynésie, le 6 décembre 2023.



Ils sont parmi les plus jeunes adultes à vivre dans la rue. Elle a 22 ans, il en a 19. Ils se rencontrent à l’école, et rapidement, ils ne peuvent plus se passer l’un de l’autre. Mais en s’aimant, ils basculent dans l’errance. Où est la fracture ? Pourquoi des sentiments si nobles doivent-ils se vivre sur le macadam, sur des carrelages citadins, sur des morceaux de cartons ? Femmes de Polynésie souhaite comprendre. Et Marie-Ange Taha accepte de parler.

 

Travailler pour s’en sortir

 

« Je n’ai pas choisi cette vie. Malgré notre situation, nous essayons de vivre normalement. Certains regards blessent, ils ne peuvent pas comprendre. »

 

Derrière la jeune femme se dresse une ancienne devanture commerciale, dont la blancheur des volets a déjà bien vécu. Marie-Ange est assise sur un petit tabouret, à côté du caddie où sont rassemblées toutes leurs possessions. Elle attend, comme tant d’autres jours de sa vie de sans-abri. Elle patiente sur ce trottoir où défilent inlassablement les passants. Et dans cette longue attente, elle fait la manche, pour qu’ils puissent manger. De sa voix juvénile, un peu rauque, Marie-Ange explique :

 

«  Je suis inapte au travail, j’ai un carnet rouge (1). Je suis malade, j’ai subi dès la naissance plusieurs grosses opérations en France. »



La survie du couple repose essentiellement sur les épaules de son compagnon, Manuarii. Ce matin, il est retourné au centre-ville en quête d’un emploi. Il travaille de quelques minutes, pour aider lors d’une livraison, à plusieurs mois, puisqu’il a été marin pêcheur, livreur d’œufs, graveur sur perles, ouvrier dans une vanilleraie ainsi que dans une ferme perlière. Les contrats sont de courte durée et ne suffisent pas à hisser le couple hors de la rue. Parfois Manuarii est sous-payé, exploité. Alors ils s’en vont pour trouver autre chose.

 

« Je voudrai qu’on s’en sorte de cette vie, que l’on trouve du travail. »



Amitiés urbaines

 

« On a beaucoup d’amis, on est apprécié dans la rue, on est sociable ! »


 

Il y a des sourires, des gestes affectueux, des « comment tu vas », égrenés durant ces quelques instants partagés avec Marie-Ange.

 

«  Certains sombrent dans l’alcool pour oublier. Je pense que ça ne résoudra rien, mais c’est leur choix, les SDF ne sont pas tous pareils. Quand ils vont boire, ils nous demandent de leur garder leurs affaires. Nous sommes d’accord, tant qu’ils ne s’alcoolisent pas à côté de nous. »



Aux pieds de la jeune femme sont couchés leurs deux fidèles chiens. Kodjy et Staff. Ses compagnons de vie, ses protecteurs. Elle reprend :


« Nous deux, on ne boit pas, on ne fume rien, à part des cigarettes. Mais on aime manger, parce qu’on a faim, mais aussi pour aider à faire passer le temps. »

 

Elle poursuit :

 

« C’est notre vie. C’est dur. C’est la réalité. Peut-être qu’un jour ça va changer. »

 

Vie de couple

 

« Nos parents ne nous acceptent pas, des deux côtés dans nos familles. Pour qu’on nous laisse tranquille, on a décidé d’aller dans la rue. On n’est jamais revenu. »

 

Il faut s’aimer très fort pour prendre une telle décision. Il faut se respecter tout autant pour ne pas céder à des pressions qui piétinent leurs beaux sentiments. Au début de leur relation il y a quatre ans, ils s’exilent d’abord chez des connaissances, et passent de maison en maison. Puis ils logent un moment au cimetière, avant d’aboutir dans la rue. Les centres d’hébergement ne leur conviennent pas : ils tiennent trop à leur vie privée, autant que faire se peut.



Les moments d’intimité sont rares et fugaces, précaires comme toute cette vie. Ce soir, Malia apporte un test de grossesse à la jeune femme.

 

« L’association Te Torea (2) fait bien son travail, ils ne nous ont jamais lâchés. Malia est une personne efficace et de confiance. »

 

L’éducatrice s’entretient avec le couple, après leur avoir offert un café. Manuarii souhaite s’engager dans l’armée. Pour leur futur commun à tous les deux. Alors ils réfléchissent sérieusement à cette opportunité, qui n’est pas à prendre à la légère, et qui pose l’éventualité de quitter le fenua. Mais ils sont prêts à beaucoup pour construire un avenir meilleur, et pour vivre dignement leur amour.



Le couple s’est installé parmi une enfilade de parapluies posés le long de la rue, dressés comme des paravents entre chaque semblant de foyer. Sous les corps fatigués, un morceau de carton, et une couverture pour les envelopper. À côté, les chiens qui veillent. La pénombre qui engloutit les arcades. Et la musique du restaurant qui envahit la rue. C’est vendredi soir, et à deux pas d’ici, on fête et on rit. Pendant que d’autres échafaudent des projets de vie, d’amour et d’espoir.


Merci Marie-Ange pour ta confiance et ton témoignage. Merci à l’association Te Torea pour votre collaboration.

 

Notes :


1. Régime des longues maladies en Polynésie. Ces personnes bénéficient d’une prise en charge à 100% de leurs soins médicaux.

2. L’association Te Torea œuvre depuis 1998 en faveur des personnes en grandes difficultés qui vivent de et dans les rues de Papeete, à savoir les personnes sans-abri en priorité, les prostitués et les raerae.

 

Texte et photos : Doris Ramseyer, pour Femmes de Polynésie





Pour plus de renseignements


L’association Te Torea voit le jour en 2004, pour aider et accompagner les personnes en grande difficulté, qui vivent de et dans les rues de Papeete. Mais ses actions débutent déjà en 1998, avec le Club de prévention spécialisé contre la délinquance juvénile. L’association compte aujourd’hui 36 salariés, employés dans 3 centres (1 centre de jour et 2 centres d’hébergement), avec une équipe de rue. Dans le but d’une réinsertion socio-professionnelle, Te Torea aide les personnes sans-abri dans leurs démarches administratives, la recherche d’un emploi et d’un logement. L’association dispense des repas dans les centres, propose des premiers soins, réalise de la prévention (notamment auprès des personnes prostituées), et organise des activités à caractère économique, ainsi que divers ateliers (contre l’illettrisme, pour préparer un dossier de candidature et recréer du lien social).

 

Pour soutenir l’association Te Torea grâce à des dons (numéraires, alimentaires ou vestimentaires), vous pouvez appeler le 87 72 66 05 ou le 40 42 39 18. 

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